J’entre un peu nerveuse dans la salle des médias du Congrès des cheveux naturels: je dois interviewer l’artiste Marième, une première pour moi. Heureusement, Maeva, du blog Art Acts Naturally m’accompagne. Nous sommes tout de suite accueillies par la présence dynamique de Marième et par son joli afro bouclé et blond. Elle est occupée à raconter une anecdote aux femmes présentes dans la salle: un médecin, paraît-il, était si fasciné par les cheveux de son enfant qu’il lui fallait absolument les toucher avant de penser à l’otite qu’il devait soigner. J’ai alors su que l’entrevue se passerait bien.
Originaire de Québec, Marième est une artiste de talent, chanteuse, journaliste culturelle à TVA, animatrice à MAtv et à MusiquePlus. J’étais donc étonnée (et contente!) que Racines Crépues ne lui soit pas étranger.
Tu connais Racines Crépues depuis longtemps?
Je suis tombée de part et d’autre sur des articles. Le titre intrigue!
Parle-nous de ton rapport à tes cheveux. Tu les as toujours portés ainsi?
Je suis née d’un père sénégalais et d’une mère québécoise, et je suis de la ville de Québec. J’ai toujours porté l’afro comme ça, même si j’ai eu des tresses quand j’étais plus jeune. À partir du jour où je suis entrée au Cégep, je les ai toujours laissés libres (avant je les portais attachés). Ça m’a amenée à m’émanciper. Bon nombre de fois, je suis allée dans des soirée où j’étais la seule personne noire… Je suis basée à Québec, une ville homogène, blanche… Ma mère m’a toujours dit: « Aie encore plus de personnalité si t’es différente ». Donc j’y suis allée jusqu’au bout des cheveux. C’est une façon d’exprimer ce que je suis, mes racines. Le style aussi, j’aime que ça soit différent.
En tant qu’artiste, crois-tu que ce soit plus accepté dans le milieu où tu évolues?
Possiblement. C’est sûr qu’il y a 15 ans, je ne voyais personne avec des afros, même à Montréal. Quand je venais ici, les femmes me demandaient: « Quand est-ce que tu vas te coiffer? »
Pourtant tu as de si beaux cheveux…
Mais c’est qu’il n’y avait pas (de cheveux) comme ça avant! Il n’y avait pas de salons spécialisés, pas de produits à notre portée, on ne savait pas comment entretenir ses cheveux. Alors je remercie inHairitance d’être entré dans ma vie. Avoir l’impression qu’on a des produits adaptés pour ses cheveux, c’est les considérer réellement, leur donner une vraie valeur. Même dans les salons où on fait des tresses, les produits sont effrayants, il y a tellement de défrisants…
Maeva: Surtout que les gens qui vendent ces produits ne les connaissent pas et n’ont aucune idée comment ça marche.
Oui, c’est important d’avoir des gens qui ont la connaissance. Dernièrement, les filles d’inHairitance
me disaient qu’elles doivent faire une rééducation auprès des jeunes filles à Montréal, parce que leurs mères les coiffaient d’une façon, elles-mêmes se coiffent d’une autre façon, et là on leur dit : « Vos cheveux en dessous sont frisés ». Il y a quelque chose à faire avec ça.
Effectivement, il faut éduquer les filles. Dans notre catégorie d’âge, beaucoup sont retournées au naturel, mais les plus jeunes utilisent encore beaucoup les extensions, les greffes.
En même temps, moi je ne suis pas anti-défrisant ou anti-extensions. Je ne pense pas qu’on avance avec les extrêmes. Mais il est important de rééduquer afin que le changement se fasse de lui-même, grâce à l’information et aux produits adaptés. On ne peut pas blâmer les mères d’avoir montré à leurs filles à mettre des extensions, quand elles-mêmes n’avaient pas l’information.
Tu es une porte-parole toute choisie pour l’évènement! Pas la peine de te demander pourquoi tu as accepté…
Moi, ça me touche un congrès comme celui-ci, parce que ça fait 15 ans que je porte mes cheveux comme ça. Donc de voir toutes ces personnes réunies pour cette cause et ce mouvement, je trouve ça extraordinaire.
Vois-tu de plus en plus de têtes afro à Québec?
J’ai vu une jeune fille l’autre jour, j’étais contente!
Maeva: As-tu déjà participé à un autre évènement de ce type, autour des cheveux?
Non! C’est la première fois. De cette envergure, c’est la première fois qu’il y a ça à Montréal.
Beaucoup d’entre nous ont commencé en suivant des blogs, des chaînes YoutTube. Toi, ça fait 15 ans… Comment faisais-tu pour savoir quoi faire avec tes cheveux?
Je ne savais pas grand-chose. Je savais que je voulais ce look. J’y allais au pif… Je suis contente de voir que maintenant, il existe tout ça.
Et pratico-pratique, quelle est ta routine, quels produits tu utilises?
Je ne me souviens plus des noms… Je vais chez inHairitance et je passe une heure là-bas. Pour mes wash and go j’utilise… Curly Blend?
Blended Beauty?
Oui! (rires) Je sais pas combien de fois dans ma vie je suis allée quelque part pour chercher un produit qui définit ma boucle, et on ne savait pas de quoi je parlais. Et ce qu’on m’a donné aussi! Des trucs secs, des gels. J’ai essayé beaucoup de choses en ne sachant pas. Maintenant, ce que j’essaye de faire, c’est un travail d’hydratation. La coupe afro rend le cheveux plus sec, donc c’est pour ça que l’hiver j’essaye de faire… comment on appelle ça les coupes de protection, là…
Les coiffures protectrices?
Exact, je n’ai jamais fait ça!
Maeva: On va te voir plus souvent avec des coiffures protectrices alors?
Je pense que oui! J’ai porté des extensions une fois quand j’étais plus jeune au Sénégal. Sinon, je mets aussi des bandeaux, des turbans. On me demande souvent si l’afro m’a bloquée au travail, car je suis journaliste à TVA, où il y a 200 personnes blanches, une personne noire (moi), avec les cheveux gros comme ça. Je ne passe pas inaperçue!
Justement, à ton travail, comment ça a été perçu? Je t’entendais raconter l’anecdote, tout à l’heure, sur les gens qui veulent toucher sans permission.
J’essaie de ne pas en faire une obsession, parce que ça peut devenir récurrent. Je ne suis pas un animal de cirque. Il y a 10 ans, c’était plus frustrant, mais là j’essaie de me calmer avec l’âge. Mais je trouve qu’on touche encore beaucoup. Puis dans mon milieu de travail, c’est devenu ma marque.
Quelles sont tes ressources à Québec, vu que tout est concentré à Montréal?
J’allais à l’Université Laval, sinon il y a Yafeh, que j’ai connu par la bande. À part ça, je viens encore beaucoup à Montréal.
Et tu as des enfants à qui tu transmets l’amour des cheveux et cet héritage…
J’ai une fille qui va avoir 3 ans à l’automne, donc je m’en fais un devoir. Chaque deux ans, mon père nous emmenait au Sénégal, donc j’ai gardé une connexion forte avec la famille là-bas. J’y retourne souvent. La nourriture, la culture, le wolof… C’est important!
Maeva: Si tu avais un message à passer aux femmes qui souhaitent revenir au naturel, ce serait quoi?
Il faut être fière de qui on est, d’où on vient, et être connectée avec soi-même. Vous êtes inspirantes, vous allez inspirer. Je souhaite de tout coeur inspirer les prochaines générations. Dans la vie, on va loin dans la mesure où on croit en soi: les gens vont le sentir et vont nous suivre.